En Europe, les doctrines issues de la Révolution de mai 1968 continuent à occuper encore et encore les têtes post-romantiques d’ un bon nombre d’ intellectuels ayant voix au chapitre. Quant à lui, le vieux catholicisme européen (qui est presque totalement en ruine), plutôt que de déplorer son radical effondrement et d’ essayer d’ y trouver un remède efficace, se voile la face en fêtant le soixantième anniversaire de l’ ouverture du Concile Vatican II, prônant par là une fuite en avant à l’ instar de tous les systèmes décadents épris d’ auto-célébrations stériles. Une question se pose : ces messieurs les penseurs contemporains qui fleurissent les plateaux de télévision et les ecclésiastiques romains champions de l’ ouverture synodalisante croient-ils encore en l’ idée de vérité ? On peut légitimement en douter.
La vérité est-elle interchangeable comme les produits de consommation ? Existe t’elle vraiment ? Si oui, est-elle connaissable ? Ne serait elle qu’ une illusion ? Une convention sociale ? Est-elle unique ou multiple ? Un discours à son sujet est-il seulement possible ?
Il me semble évident que l’ état d’ esprit général dans lequel baigne notre début de XXIè siècle met gravement au rebut la possibilité d’ existence même d’ une vérité. Tout au plus nos contemporains admettent-ils encore l’ existence de plusieurs vérités dans l’ ordre pratique mais l’ idée de l’ existence d’ une vérité unique et immuable les scandalise et les met en colère. Car celle-ci viendrait d’ une part à nier leur sentiment de souveraine liberté et, d’ autre part, à mettre en péril le principe post-moderne actuel selon lequel tout le monde à raison sur tout et à le droit de le dire haut et fort. Bref, comme dans cette ancienne émission de télévision des années 1980’s animée par feu Jacques Martin,( j’ entends ici « L’ école des fans ») : « Tout le monde a gagné » ! Ben voyons ! Comme cela, tout le monde est content , tout le monde est le premier et tout le monde a raison… Un vrai paradis où la contradiction n’ existe plus et n’ est même plus possible : signe des temps. La bien pensence causant la langue de bois. Bien heureux retour à l’ indifférenciation, joie parfaite du gloubiboulga total : plus de limites, la fusion dans un seul langage commun irisé et différencié au sein de sa sublime unité : bref, la Jérusalem céleste sur terre ! Mais oui, soyons ouverts ! Calmons -nous car tout est relatif, ne nous prenons pas la tête autour de questions liées à des définitions, soyons liquides, cheminons ensemble vers l’ horizon de l’ unité parfaite dans la diversité, et ce, quel qu’ en soit le prix !
Voilà le programme de notre époque. Tout vaut tout. Une sphère est un cube, un chat est un chien et vous c’ est moi. Jean-Sébastien Bach est l’égal de Joëy Starr. Une rave party a autant de valeur que les polyphonies de Palestrina. Un seau de peinture jeté aléatoirement sur un mur est une oeuvre aussi unique que les « Tournesols » de Van Gogh hélas récemment aspergés de soupe rouge par des activistes écologistes ! Quelle merveille : tout se vaut ! Nous sommes enfin libérés du carcan de nos pères…
Ainsi, les catégories de la logique formelle sont attaquées, la notion de réel devient une variable dont la valeur se mesure à l’ aune des différentes cultures et, à travers l’ infinité des conceptions personnelles, bien malin serait celui qui pourrait isoler l’absoluité d’ une vérité.
Mais ce n’ est pas tout ! Y aurait-il encore une vérité que celle-ci ne serait certainement pas immuable et fixée : elle viendrait à évoluer dans le temps. N’ en déplaise aux mathématiciens et aux théologiens. Ainsi, deux et deux feront bientôt cinq et l’ idée de Dieu sera bientôt celle du néant. Ainsi, comme le monde et comme l’ homme, la vérité évolue. Ce qui était vérité l’année passée devient erreur aujourd’hui et ce qui était faux hier peut se voir démontré vrai maintenant.
La question contemporaine n’ est donc plus du tout de savoir si la vérité existe mais plutôt de savoir à quoi cela sert. A quoi cela sert il de chercher la vérité ? Ce qui intéresse l’ homme d’aujourd’hui relève du registre strictement pratique : vision typiquement marxienne.
Cette même vérité pratique ne s’ appuie que sur l’ expression du témoignage et des sentiments personnels loin de la cohérence logique et de la signification intellectuelle. « Je sens que… » ; « Cela m’ interpelle au niveau du vécu… ». Formules aussi solides que les sables mouvants de l’opinion publique et des modes.
La vérité est donc ici envisagée comme comme le rapport de l’ homme à lui-même : triste solipsisme. Comme le disait déjà Montaigne au XVIè siècle : »Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà ». Vérité relative, pratique, évolutive et subjective. Voilà les quatre attributs de la vérité du XXIè siècle. Autant dire une omelette sans oeufs, une eau sèche, une lumière obscure, un couteau sans manche et qui n’ a pas de lame.
Mais, comme le disait l’ Ecclésiaste voici plus de deux millénaires : « Noli novus sub soli » : rien de nouveau sous le soleil.
Déjà au IVé siècle avant notre ère, Platon citait le sophiste Protagoras d’ Abdère qui disait : « L’ homme est la mesure de toute chose, de celles qui existent et de leur nature : de celles qui n’ existent pas et de l’ explication de leur non-existence ».
Pauvre époque que la nôtre, elle n’a donc rien fait de neuf !