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Blaise Pascal : La lumière du génie dans l’ombre de la foi

Blaise Pascal : La lumière du génie dans l'ombre de la foi

Un pur génie, l’ inventeur de la première machine à calculer mécanique, un homme de science et de foi, un immense philosophe, une âme tourmentée et un corps malade qui, en fin d’ existence, est cloué sur un lit de douleur : voilà l’ immense Blaise Pascal né en France le 19 juin 1623 à Clermont en Auvergne et disparu à l’ âge de 39 ans le 19 août 1662 à Paris.

Connu pour ses célèbres Pensées, recueil d’une multitude de fragments épars découverts à sa mort en 1662. Celles-ci ont connu une prospérité qui ne s’est jamais démentie au fil des siècles : de traité apologétique de la religion chrétienne au XVIIe siècle, cet essai est devenu désormais un incontournable classique de la philosophie et de la métaphysique.

En 1656, après une existence mondaine où il cherche la gloire par l’exploitation de ses recherches scientifiques, Blaise Pascal entreprend une apologie de la religion chrétienne que sa santé ne lui laisse pas le temps d’achever et dont il reste seulement des fragments.

Le double but de ce magnifique ouvrage inachevé est de peindre l’ âme de l’ homme et de confondre les philosophes sceptiques en exposant l’ harmonie et la puissance de la pensée chrétienne.


Les extrêmes

« Notre intelligence tient dans l’ordre des choses intelligibles le même rang que notre corps dans l’étendue de la nature.

Bornés en tous genres, cet état qui tient le milieu des deux extrêmes se trouve en toutes nos puissances.

Nos sens n’aperçoivent rien d’extrême. Trop de bruit nous assourdit; trop de lumière éblouit; trop de distance et trop de proximité empêche la vue; trop de longueur et trop de brièveté du discours l’obscurcit; trop de vérité nous étonne : j’en sais qui ne peuvent comprendre que qui de zéro ôte 4 reste zéro. Les premiers principes ont trop d’évidence pour nous. Trop de plaisirs incommode. Trop de consonnances déplaisent dans la musique; et trop de bienfaits irritent : nous voulons avoir de quoi surpayer la dette : Beneficia eo usque laeta sunt dum videntur exsolvi posse; ubi multum antevenere, pro gratia odium redditur.

Nous ne sentons ni l’extrême chaud, ni l’extrême froid. Les qualités excessives nous sont ennemies, et non pas sensibles; nous ne les sentons plus, nous les souffrons. Trop de jeunesse et trop de vieillesse empêchent l’esprit; trop et trop peu d’instruction […]. Enfin les choses extrêmes sont pour nous comme si elles n’étaient point, et nous ne sommes point à leur égard : elles nous échappent, ou nous à elles.

Voici notre état véritable. C’est ce qui nous rend incapables de savoir certainement et d’ignorer absolument. Nous voguons sur un milieu vaste, toujours incertains et flottants, poussés d’un bout vers l’autre. Quelque terme où nous pensions nous attacher et nous affermir, il branle et nous quitte; et si nous le suivons, il échappe à nos prises, nous glisse et fuit d’une fuite éternelle. Rien ne s’arrête pour nous. C’est l’état qui nous est naturel, et toutefois le plus contraire à notre inclination : nous brûlons de désir de trouver une assiette ferme et une dernière base constante, pour y édifier une tour qui s’élève à l’infini; mais tout notre fondement craque, et la terre s’ouvre jusqu’aux abîmes.

Cela étant bien compris, je crois qu’on se tiendra en repos, chacun dans l’état où la nature l’a placé. Ce milieu qui nous est échu en partage étant toujours distant des extrêmes, qu’importe que l’homme ait un peu plus d’intelligence des choses? S’il en a, il les prend un peu de plus haut. N’est-il pas toujours infiniment éloigné du bout, et la durée de notre vie n’est-elle pas également infiniment éloignée de l’éternité, pour durer dix ans davantage? »

(Pascal, extrait des Pensées)


Pour notre auteur, toutes les philosophies ne sont que faiblesse, fantaisie et fausseté.

Pascal comptait « faire voir que la religion chrétienne avait autant de marques de certitude que les choses qui sont reçues dans le monde pour les plus indubitables » (Mme Périer). Tous ses raisonnements très pratiques sont tournés contre la légèreté des mondains, la curiosité des savants, le naturalisme des moralistes et la logique pure des cartésiens.

Cependant la religion ne relève pas des certitudes mathématiques et Pascal en est parfaitement conscient : le dogme de foi ne relève pas des certitudes géométriques.

Pascal était tout le contraire d’un sceptique. Il a conçu les bornes de l’esprit, les limites de la science, la relativité de la connaissance. Il n’a pas douté de la raison en définissant son usage. Mais surtout on l’a cru sceptique, faute de remarquer le procédé logique dont on vient de parler. Il affirme le pyrrhonisme, mais il affirme le dogmatisme, et ces deux vérités partielles se réunissent en Jésus-Christ, qui est la vérité totale.

Pascal est catholique, et absolument catholique. Croire en Jésus-Christ et en son Eglise et, sur leur foi, accepter les mystères incompréhensibles dès que la preuve historique de la divinité de la religion est fournie, donc faire de la soumission à l’autorité une pièce nécessaire de la croyance, est une partie essentielle de la pensée de Pascal, et qu’on ne voit pas comment il aurait pu quitter. Mais la forme de son catholicisme romain est assurément le jansénisme; l’inspiration de son Apologie est assurément toute janséniste. La foi qu’il démontre, c’est celle qui impose la morale des Provinciales, qui demande et prend toute la vie. Les dogmes qui sont comme les pivots de sa démonstration sont les dogmes jansénistes : la chute, la grâce. Du reste, il est difficile de dire dans quelle mesure l’expression de sa pensée dans son livre aurait été colorée de jansénisme, et s’il aurait su la produire sans renouveler ou envenimer le conflit de sa secte et de l’Eglise.

Tout ce que Pascal a touché prend un caractère de précision et de profondeur qui étonne. Son double point de vue de la grandeur et de la bassesse fait de lui le plus pénétrant des moralistes. Par sa force d’analyse et son art de pousser les idées, il fait apparaître dans les faits les plus communs des significations surprenantes, il indique des problèmes insoupçonnés, il a des pressentiments par où il devance de deux siècles la philosophie et la science (Nature et coutume, hérédité; distinction du moi et de ses qualités; impénétrabilité du moi). Ses conceptions politiques et sociales ont une hardiesse d’accent, une audace de sincérité, qui ont effarouché ces Messieurs de Port-Royal : la loi est respectable, parce que loi, non pas parce que juste; la royauté héréditaire, la hiérarchie sociale sont absurdité, injustice; mais la paix et l’ordre sont à ce prix. Il concède tout aux rois, aux grands, et rien n’est plus méprisant que le principe de son respect. Voyez sa distinction des trois ordres de grandeur : grandeur de la chair, les puissants du monde; grandeur de l’esprit, les savants; grandeur de la charité, Jésus-Christ (Pensées, XVII, 1; Discours sur la condition des grands). Même sur l’ esthétique, il n’a que deux mots (VII, 24-23) et dans leur concision obscure ils sont féconds. Pascal saisit l’identité des valeurs esthétiques dans leurs apparences hétérogènes, et, devançant en quelque sorte Taine, il fait comprendre que la toilette des femmes, l’architecture des palais, le style et la poésie peuvent être les expressions équivalentes d’un goût unique.

On a souvent parlé de la poésie de Pascal, on l’a cherchée souvent où elle n’était pas, dans des angoisses personnelles qu’il n’éprouvait pas certainement au moment où il écrivait. Mais il a ce profond sentiment des problèmes métaphysiques, qui est la source du grand lyrisme (1, 1; IX, 1; XXV, 16-17bis). Il a l’ardeur passionnée de la foi, qui fait la poésie des mystiques (Mystère de Jésus). Il a l’imagination créatrice de formes belles et grandes, réalisation sensible des idées (IV, 7 ; IX, 4 ; XXIV, 58). Quoi qu’on en ait dit parfois, la poésie éclate souvent au milieu du tissu serré de ses démonstrations.

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