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L’art perdu de la reconnaissance mutuelle.

L'art perdu de la reconnaissance mutuelle

Vous aurez sans doute constaté que la bienséance est en voie d’extinction au sein de notre société actuelle. C’est à un tel point qu’affronter le monde extérieur ou un lieu fort peuplé devient une épreuve pour le système nerveux. Dans un passé récent, la politesse était encore la pratique essentielle qui assurait le bon fonctionnement de nos interactions et rendait la coexistence agréable en essayant de la faire tendre vers l’ harmonie. C’ est en effet le prix du maintient de la paix sociale et de l’ ordre public qui sont des notions philosophiques, sociologiques et juridiques.

La politesse, sous toutes ses formes, qu’il s’agisse de savoir-vivre, de civilité, de courtoisie ou même de simples bonnes manières, a été le pilier qui a soutenu la structure fragile de nos relations sociales. Elle a servi de rempart contre la grossièreté, la vulgarité, la violence et l’égoïsme. Mais, en observant notre environnement actuel, il semblerait que cette barrière s’effrite, laissant place à une indifférence et un mépris croissants envers les sentiments et le bien-être d’autrui. Comme je le précisais dans un article que j’ ai rédigé le 10 juin dernier, la politesse repose sur un sacrifice qui est effacement de soi afin que l’ autre existe. Ainsi, le résumé de tous les manuels de bienséance tient en une phrase : « Je me mets un peu en retrait afin de reconnaître que vous existez. » 

Il est fascinant de se pencher sur l’évolution historique de la politesse. Jadis, des gestes tels que le baisemain, largement répandus en Europe, étaient empreints d’une élégance et d’une délicatesse qui semblent désormais appartenir à une autre ère. Les normes et coutumes ont changé, certes. Mais plutôt que d’évoluer vers une meilleure version de nous-mêmes, nous avons, à bien des égards, régressé. L’influence des Lumières, notamment du fait de penseurs comme Jean-Jacques Rousseau, a laissé une empreinte indélébile sur nos interactions. Ses plaidoyers pour le tutoiement généralisé étaient révolutionnaires à l’époque et illustraient un désir injustifié de proximité excessive. Cependant, aujourd’ hui, le tutoiement est devenu courant, souvent même privilégié alors que, généralement, il n’ existe même pas une once d’ intimité entre les personnes qui s’ y adonnent. Or, le génie de la langue française est d’avoir distingué entre l’intime et le non intime. Abolir cette frontière dans le langage ne peut conduire qu’à de funestes excès et conséquences. En effet, la simple logique formelle le démontre me semble t’il. Si celui qui vous est étranger est tutoyé, quelle expression faut-il alors employer pour exprimer la véritable intimité ? A l’ inverse, si vous ne souhaitez aucune intimité avec quelqu’un et que vous n’ êtes plus en mesure d’ utiliser le « vous », qu’ allez-vous inventer pour y arriver ? Il s’ agit là véritablement d’ un appauvrissement et d’ une destruction de la langue et, par conséquent, de la structuration du tissu social. Car toute la société est fondée sur le langage…

Attribuer cette dégradation de la politesse à une simple évolution linguistique serait réducteur. Il est probable que la technologie, avec l’anonymat qu’elle offre, ait joué un rôle dans cette dérive. À l’ère des réseaux sociaux et des interactions virtuelles, le respect et la courtoisie ont été remplacés par l’impulsivité et l’irrévérence. Mais plus encore et principalement, il s’ agit là d’ un changement de culture. Un inconnu est tutoyé. A titre personnel, je m’y refuse. 

Ce qui est triste, c’est que nous risquons de perdre plus que de simples formalités. Derrière ces gestes et ces mots polis se trouve une reconnaissance de l’humanité de l’autre, une appréciation de sa valeur. Ignorer la politesse, c’est ignorer cette valeur. Alors que notre monde post-moderne se glorifie de sa sophistication et de ses avancées techniques, il est ironique de constater que nous sommes en train de perdre l’une des qualités les plus élémentaires qui nous distinguent en tant qu’êtres humains civilisés. Il est de notre responsabilité collective de raviver cette flamme de la politesse afin de préserver la délicatesse et la dignité de nos interactions sociales. Tout passe par la famille et par l’école ! 

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