
Platon, l’énigme d’Athènes, naît dans une famille privilégiée en 427/428 av. J.-C., une époque tumultueuse pour la Grèce antique. Ces secousses historiques forgent son esprit, marquant profondément sa philosophie, et tout particulièrement sa vision du droit naturel.
Imaginons un instant le jeune Platon, assis aux pieds de son maître, Socrate. Celui-ci, vêtu de ses simples tuniques, délivre des vérités universelles, défiant l’idée dominante des Sophistes qui préconisent un monde où la vérité est relative, changeante selon la perception de chaque individu. C’est cette conviction en une vérité inaltérable qui nourrit l’épine dorsale de la philosophie platonicienne : la théorie des Formes et, par voie de conséquence, sa conception du droit naturel.
En arrière-plan de l’éducation de Platon, les Sophistes se tiennent en figure dominante. Ils préconisent un monde où tout est relatif, où la loi, la vérité et la justice sont des constructions sociales constamment en évolution. Pour Platon, voilà le cœur du problème : ce relativisme qui injecte l’instabilité et la corruption dans la cité. La vision platonicienne du droit naturel est donc une rébellion contre le relativisme sophiste. Platon voit le droit naturel non pas comme une vague idée soumise aux caprices de l’opinion publique mais comme un ancrage dans la réalité objective des Formes. Le droit naturel est la projection de la Forme du Bien, une vérité constante et immuable qui reste inébranlable peu importe les opinions des hommes. Toutefois, la vision du droit naturel chez Platon est loin d’ être simpliste : notre philosophe ne perçoit pas le droit naturel comme un ensemble précis de lois mais plutôt comme un guide pour orienter la justice et la législation. Les lois spécifiques, appelées « lois positives », doivent être façonnées en harmonie avec le droit naturel et leur application doit être adaptée aux circonstances uniques de chaque cité.
Si l’on veut décrypter la théorie du droit naturel de Platon, il est essentiel de se familiariser ce concept philosophique fondamental qu’ est la théorie des Formes. Cette théorie, qui est un pilier de la pensée platonicienne, postule l’existence d’un monde des Formes ou des Idées qui est distinct du monde sensible que nous percevons autour de nous et qui le transcende. La théorie des Formes postule que le monde sensible est simplement une copie, une réplique imparfaite du monde des Formes. Les Formes, selon Platon, sont les réalités ultimes, éternelles et immuables, tandis que le monde sensible est en constante mutation et est soumis à la dégradation et à la corruption par le biais du changement. Pour Platon, les lois naturelles, ou le droit naturel, font partie du monde des Formes. Ils sont immuables, universels et éternels. Ainsi, le droit naturel n’est pas relatif ou sujet à l’opinion humaine mais existe indépendamment de notre conscience ou de notre acceptation.
C’est ici que Platon diverge radicalement des sophistes. Les sophistes soutenaient une vision du droit fondée sur les conventions humaines, le droit positif. Pour eux, le droit était relatif, changeant selon les circonstances et la volonté de l’homme. Platon soutient, bien au contraire, que le droit est inscrit dans la nature même des choses, qu’il est ancré dans le monde des Formes et n’est donc pas sujet aux variations de l’ opinion humaine. La théorie des Formes de Platon devient donc la clé de compréhension de sa conception du droit naturel. C’est le prisme à travers lequel nous pouvons voir la vérité éternelle, immuable et universelle du droit naturel. Et, pour Platon, la réalisation de cette vérité est essentielle pour atteindre la justice et l’harmonie dans la cité idéale.
Dans l’arène politique, Platon prend un tournant audacieux et intrépide. Son concept de droit naturel n’est pas seulement une théorie philosophique à débattre dans les écoles ou les forums intellectuels, mais une philosophie pratique à intégrer dans la politique et la gouvernance. Platon voyait le droit naturel comme une boussole morale pour la politique. Selon lui, un gouvernement juste et idéal est celui qui est en harmonie avec le droit naturel et qui reconnaît et respecte les principes universels et éternels. Cette vision se reflète dans son modèle de la cité idéale où les dirigeants sont des « philosophes-rois » qui ont une connaissance profonde de la vérité, de la justice et du bien, et qui les appliquent dans la gouvernance.
Si on regarde de près, cette idée de gouvernance est une grande révolution. Dans un monde où le pouvoir et le contrôle sont souvent entre les mains des plus forts ou des plus rusés, Platon propose une vision du leadership qui met la sagesse, la vertu et la justice au premier plan. Il dit essentiellement : « Oubliez la force, oubliez la ruse, le vrai leader est celui qui connaît et respecte le droit naturel ». L’influence de la théorie des Formes de Platon se manifeste également dans cette vision politique. Les « philosophes-rois » sont ceux qui ont accès au monde des Formes, ceux qui ont une compréhension profonde de la réalité ultime. Ils ne sont pas seulement des politiciens ou des dirigeants mais des philosophes qui ont une vision éclairée de ce qui est juste et bon.
La conception platonicienne du droit naturel a sans aucun doute laissé une empreinte profonde dans la philosophie occidentale et a survécu au cours des millénaires qui ont suivi. Alors que la définition précise de ce qu’est le droit naturel et la manière dont il devrait être appliqué ont beaucoup évolué, l’idée fondamentale que Platon a promue – qu’il existe des lois universelles, éternelles et immuables de justice et de moralité qui transcendent les lois humaines – continue d’être un concept majeur dans la philosophie morale et juridique.
Dans le domaine de la philosophie politique, Platon a influencé de nombreux penseurs majeurs. Par exemple, Thomas d’Aquin, philosophe médiéval, a repris la notion de droit naturel de Platon en l’intégrant à sa propre vision du monde, en la combinant avec la doctrine chrétienne pour développer une philosophie du droit naturel qui a profondément influencé le catholicisme romain. Plus récemment, la notion de droits de l’homme, qui est fondamentale pour les démocraties libérales contemporaines, est également profondément enracinée dans l’idée du droit naturel. L’idée que tous les individus possèdent des droits fondamentaux, simplement en raison de leur humanité, reflète l’idée platonicienne que certaines normes de justice et de moralité sont universellement applicables.
De même, les conceptions platoniciennes du droit naturel ont été déterminantes dans le développement du droit international. Les principes de justice universelle et d’égalité devant la loi, qui sont au cœur du droit international, peuvent être retracés jusqu’à Platon.
Plus de 2400 ans après sa disparition, l’influence de Platon sur la conception du droit naturel est indéniable et continue de résonner dans notre monde contemporain. Sa vision novatrice a modelé nos perceptions de la loi et de la justice, nous offrant une boussole morale constante dans un monde en évolution continue. Du fond des âges, le philosophe antique nous a donné une mission : ne jamais cesser de chercher les principes universels et éternels de justice y compris à travers le prisme de nos lois humaines changeantes. Une idée vieille de plusieurs millénaires, mais toujours aussi pertinente aujourd’hui.