
Après nous être penchés sur les origines antiques et médiévales du droit international, voyons maintenant où se situent ses sources au sein de l’époque moderne.
Rappelons tout d’ abord que la notion d’État, telle que nous la connaissons aujourd’hui, est une création de l’époque moderne qui a émergé principalement pendant le XVIe et XVIIe siècle en Europe. Les origines de cette transformation sont complexes, impliquant à la fois des changements socio-politiques, économiques, et idéologiques. Avant cette période, ce qui constituait une entité politique était souvent une mosaïque de seigneuries, de cités-états, de royaumes, d’empires et d’autres entités qui n’avaient pas la cohérence territoriale et la structure centralisée que nous associons aujourd’hui à un État. La loyauté des gens était divisée entre une multitude d’autorités, parfois enchevêtrées : le seigneur local, le roi, l’église, et ainsi de suite.
L’époque moderne a vu l’émergence de ce que l’on appelle aujourd’hui l’État-nation, un concept qui repose sur l’idée de la souveraineté d’un gouvernement unique sur un territoire défini et sa population. Les guerres de religion et les conflits territoriaux qui ont traversé l’Europe à cette époque ont conduit à la centralisation du pouvoir et à la définition plus claire des frontières.
Cette transformation a été institutionnalisée par le Traité de Westphalie en 1648, qui a établi les principes de la souveraineté de l’État et de l’égalité entre les États. Cela signifie que chaque État a le droit exclusif de gouverner son territoire et sa population sans ingérence extérieure. C’est également à partir de ce moment que le concept de « nation », comme groupe de personnes partageant une culture, une langue ou une histoire commune, a commencé à se lier à l’idée d’État, formant ainsi la notion d’État-nation.
Parallèlement, les développements économiques, tels que le mercantilisme et plus tard le capitalisme, ont encouragé la centralisation du pouvoir et la standardisation des systèmes juridiques et fiscaux. Les progrès technologiques dans les domaines de la navigation, de la cartographie et de l’imprimerie ont également facilité la centralisation et la standardisation. La construction de l’État moderne a également été soutenue par des changements idéologiques. Les philosophes politiques de l’époque, tels que Thomas Hobbes et Jean-Jacques Rousseau, ont élaboré des théories sur le contrat social et la souveraineté qui ont contribué à légitimer la centralisation du pouvoir dans l’État. La notion d’État est donc une construction de l’époque moderne qui a émergé de l’interaction de forces socio-politiques, économiques et idéologiques. Cette idée a continué à évoluer et à s’adapter à travers les siècles mais ses fondements restent ancrés dans ces transformations de l’époque moderne.
Penchons nous maintenant sur trois figures majeures qui ont élaboré les fondements théoriques de l’ Etat moderne : Grotius et Vattel.
Hugo Grotius, né aux Pays-Bas en 1583, est une figure prééminente dans l’histoire de la philosophie politique et du droit. Il est souvent considéré comme le père du droit international, en grande partie grâce à son concept de « jus gentium », ou « droit des gens ».
Dans son œuvre majeure, « De Jure Belli ac Pacis » (Sur le droit de la guerre et de la paix), publiée en 1625, Grotius développe un cadre théorique détaillé pour le « jus gentium ». Il s’agit d’un ensemble de lois conçues pour réguler les relations entre les différentes nations et les peuples en dehors et indépendamment de leurs lois locales et de leurs coutumes. Ce concept reposait sur l’idée que certaines règles et normes morales sont universelles, indépendantes de toute culture ou tradition spécifique, et qu’elles devraient donc s’appliquer à toutes les nations. Grotius soutenait que ces normes universelles étaient dérivées de la nature humaine elle-même, plutôt que de commandements divins, ce qui marquait un changement significatif par rapport aux approches antérieures du droit naturel. Cette idée a grandement contribué à l’évolution des droits de l’homme et des principes humanitaires en droit international.
Il a également affirmé que le « jus gentium » comprenait des règles sur la conduite des hostilités et le traitement des prisonniers, ainsi que des lois régissant le commerce et la diplomatie. Ces idées ont été extrêmement influentes et ont jeté les bases du droit international tel que nous le connaissons aujourd’hui. Elles ont aidé à formuler les principes selon lesquels les États et autres entités doivent respecter certains droits et responsabilités fondamentaux dans leurs relations mutuelles, quel que soit leur statut ou leur puissance. Le concept de « jus gentium » de Grotius a été un pas crucial vers l’établissement d’un système juridique international qui transcende les frontières nationales et qui repose sur le respect mutuel des droits de l’homme et de la souveraineté. Les fondements qu’il a établis continuent de guider le développement et l’application du droit international contemporain.
Venons en maintenant à Émer de Vattel, un juriste et diplomate suisse du XVIIIe siècle, qui a grandement influencé le droit international moderne grâce à son livre intitulé « Le Droit des gens », paru en 1758. Cet ouvrage majeur, toujours considéré comme un texte fondamental du droit international, a contribué à l’évolution des normes et des principes régissant les relations entre les États souverains.
Vattel a élargi et affiné les concepts existants du droit des gens, ou « jus gentium », en proposant une approche basée sur l’égalité des États et le respect de leur souveraineté. Il a affirmé que chaque État, indépendamment de sa taille ou de sa puissance, devait être considéré comme égal à tous les autres dans le système international. Il a également soutenu que les États devaient respecter l’intégrité territoriale et la souveraineté des autres États. Ces concepts sont devenus les piliers du droit international contemporain.
Vattel a également développé la notion de « nation » en tant qu’entité dotée de droits et de responsabilités dans le système international. Il a soutenu que chaque nation avait le droit de se gouverner elle-même, de défendre son intégrité territoriale et de choisir librement son système de gouvernement. Vattel a aussi introduit la notion de « droit de guerre » et de « droit de la paix », mettant en lumière l’importance de la conduite éthique pendant les conflits. Il a souligné l’importance de respecter les lois de la guerre y compris le traitement des prisonniers de guerre et la protection des civils. Ses théories ont influencé le développement de nombreux aspects du droit international, y compris le droit humanitaire et le droit de la guerre.
On voit donc aisément qu’ Emer de Vattel et Hugo Grotius partagent des similitudes de pensée. Ils prônent l’égalité souveraine des États et basent leur philosophie juridique sur le droit naturel, c’est-à-dire des principes universels dérivés de la nature humaine. Ils ont tous deux contribué à la théorie de la guerre juste, définissant les conditions de légitimité d’une guerre. Enfin, ils insistent sur l’importance du consentement des États dans le respect des règles du droit international, que ce consentement soit explicite ou implicite.
Cependant notons tout de même que bien qu’ils aient de nombreux points communs, Grotius et de Vattel avaient également des différences importantes dans leur pensée. Par exemple, alors que Grotius avait une vision plus coopérative et inclusive du droit international, de Vattel mettait davantage l’accent sur l’indépendance des États et leur liberté d’action. Nous retrouvons encore aujourd’hui ce débat entre les partisans de la mondialisation et ceux qui s’ y opposent… Tiens, tiens…