
Alors que le psychotique tente désespérément de restaurer son Je dans la sublime unité primordiale d’ avec l’ objet perdu du désir, le pervers, quant à lui, ne se pose pas dans cette tentative de restauration interne : il vise plutôt une restauration externe. La structure perverse se pense à partir de son image. Le pervers ne se regarde pas dans un miroir : il regarde son image et non pas lui. Pour être plus précis, c’ est son image qui le regarde.
Là où le psychotique peut, dans certains cas cliniques, ne pas voir son image dans un miroir (à l’ instar du personnage central de la nouvelle de Maupassant intitulée « Le Horla »), le pervers ne voit pas son Je mais confond son image avec celui-ci. Voilà l’ essence du drame. Or, en aucune façon on ne peut être son image. Le Je et son reflet spéculaire sont bien deux réalités distinctes de coordonnées spatiales différentes et, bien sûr, deux n’ égale pas un.
Du grec ancien « eidolôn », l’ image du pervers, posée comme centre, le structure comme idolâtre de son propre reflet tel le Narcisse de l’ hellène mythologie.
Le pervers se pose de son image.
Dès lors, plutôt que de veiller à sa propre sauvegarde fût-ce au détriment de son image (à l’ instar de l’ adage populaire prétendant qu’ « un moment de honte est vite passé »), le pervers veille à la sauvegarde de cette image envers et contre tout, quitte à devoir en assumer les pires conséquences. Tel le Pontife en ses plus souverains décrets, le pervers se dote du charisme de l’ infaillibilité.
Le pervers rate la fente et la refente optiques là où le psychotique rate la fente et la refente subjectives.
Pour le psychotique, le fonctions de la parole sont toutes puissantes, il y a confusion entre le Symbolique et la parole : tout parle, tout lui parle. Son S se débarre. Le psychotique fait un avec le langage et crée la réalité avec lui : il ne parle pas, il est parlé. A l’ instar du poète, il fait surgir des mondes de sa parole. A ceci près que le poète le sait là où le psychotique ne le sait pas. Ratage de la fente subjective et ratage également de la refente en ce sens qu’ il n’ opère pas le sacrifice de l’ adoption d’ un discours afin de fonctionner socialement.
Le pervers procède de la même manière avec son reflet spéculaire : indistinct de l’ image à partir de laquelle il se pose et à laquelle il s’ identifie totalement, il instaure l’ image de la réalité comme réalité. Cette réalité perverse se donne dès lors à voir comme théâtre, mise en scène, représentation et spectacle permanent. Quel que soit le type de perversion, celui qui en est affecté est toujours dans la position de l’ acteur. Le psychotique est au fond de la salle, le névrosé se cache en coulisses et le pervers est au centre, sous le feu des projecteurs, il joue son rôle et se joue des spectateurs, de ses spectateurs. Tout gravite autour de lui, est par lui, avec lui et en lui.
Il ne confond point la fonction de la parole et le champ du langage dont elle émane comme le fait le psychotique mais il inverse (lat. per-uertere) les coordonnées du Symbolique en voulant faire émaner celui-ci de la parole.La perversion se manifeste comme un désir d’ éternité et de perfection empreintes d’ une totale jouissance. Qui n’ applaudit pas sa gloire et sa majesté sera l’ objet de sa vindicte.
Suppliez le pervers et vous affirmez son pouvoir, ignorez le et vous serez détruit. Dispensateur de la jouissance, coopérateur de l’ éternité, siège de la vérité, le pervers fait toujours acte de charité lorsqu’ il se penche vers autrui : l’ autre, sa chose dont la destination est sa plus grande exaltation personnelle. Le pervers vous mange, le pervers vous digère, le pervers vous exècre.
Le pervers et le psychotique, malgré l’ hétérogénéité de leurs structurations psychiques ont ceci en commun qu’ ils vivent dans le deuil perpétuel de la perte de l’ objet a. En fait, même au sein du cas extrême de la perversion narcissique, un souffrance latente peut toujours être mise au jour : pervers et psychotiques ne se remettent pas de leur entrée dans le langage ; ils souffrent de la contingence inhérente à l’ être de langage. La béance les affole.
Le pervers va ainsi passer sa vie à absolutiser son image en tentant de la fusionner avec l’ objet a afin de se voir comme la cause du désir de toute altérité et donc comme le maître de la jouissance. Vain défi et vain combat ! Vouloir adjoindre l’ objet a au Symbolique (psychose) où à l’ Imaginaire (perversion), c’ est nécessairement disparaître, comme sujet parlant, et du Symbolique et de l’ Imaginaire car le langage et la représentation ne sont pas miscibles avec le Réel. Le Réel ne contient ni mot ni représentation. Le Réel ne peut pas s’ additionner au langage pour former un tout absolu et nécessaire : le Réel laisse seulement des traces dans le langage. Traces qui ne sont vues et dites que du langage comme images acoustiques. Seule l’ équivoque du langage est le dépôt du Réel car il n’ existe pas de rapport qui ferait que deux soit égal à un. Le Réel engendre la polysémie des signifiants mais ne contient pas de signifiants en lui-même. C’ est d’ ailleurs parce que l’ objet a n’ est pas un signifiant qu’ il n’ y a pas de rapport qui soit possible et aucun signifiant ne complète un autre signifiant.
Les perversions et les psychoses sont par conséquent des pathologies du rapport du sujet parlant à la finitude, c’ est-à-dire à son enclave dans le Symbolique. Ces deux structures se différencient donc grandement de la névrose qui nous affecte tous et dont la clef se trouve, par contre, dans un rapport pathologique à la Loi et non au Symbolique.