
Sigmund Freud (1856-1939) est indéniablement le père des piliers de la psychanalyse moderne. Cependant, malgré la foule de ses laudateurs, ses thèses et théories ont fait l’objet de nombreuses critiques à la fois de son vivant et après sa mort. Ces critiques viennent souvent de divers horizons : scientifiques, médicaux, philosophiques et psychologiques. Celles-ci se divisent en quatre grandes familles que nous allons passer brièvement en revue ci-dessous.
L’une des critiques centrales est que Freud aurait coopté, souvent sans attribution adéquate, les idées de ses contemporains et des penseurs antérieurs pour développer ses propres théories. C’est un reproche qui met en question non seulement la validité de ses idées, mais aussi l’originalité de son travail.
En effet, dans le contexte culturel et scientifique de l’époque de Freud, une multitude d’idées sur la nature de l’esprit humain circulaient déjà. La philosophie et la médecine de l’époque s’interrogeaient activement sur le rôle des désirs et des instincts, l’importance des expériences de l’enfance ou le concept d’inconscient. Bien que Freud ait incontestablement contribué à rassembler ces concepts dans une théorie globale, le fait qu’il n’ait pas toujours explicitement reconnu ses influences a conduit à des accusations de plagiat ou de manque d’originalité. Dans son effort pour généraliser ces conceptions, Freud a parfois simplifié ou ignoré les nuances, créant des idées qui étaient parfois contradictoires ou problématiques. Par exemple, le psychanalyste Patrick Mahony (né en 1932) note que la théorie de Freud sur le complexe d’Œdipe, qui postule que tous les enfants traversent une phase où ils sont sexuellement attirés par le parent de sexe opposé, peut être perçue comme une généralisation excessive et simpliste des dynamiques familiales complexes.
Cette critique de Freud met donc en lumière des questions importantes sur l’originalité, l’intégrité intellectuelle et la validité de son œuvre. Elle suggère que, bien que la contribution de Freud à la psychanalyse soit indéniable, elle doit être comprise dans le contexte d’un large éventail d’idées et de théories qui étaient en circulation à son époque.
Le deuxième point de critique porte sur le fait que Freud aurait fondé ses options théoriques sur des présupposés biologiques déjà obsolètes au moment de la naissance de sa doctrine ! Ernst Kris (1900-1957), un des partisans de Freud, soulève notamment le fait que Freud n’a pas pris en compte les avancées en neurologie de son temps, comme les travaux de l’histologiste Ramon y Cajal (1852-1934) qui ont jeté les bases de la théorie neuronale moderne.
La psychanalyse freudienne, en effet, accorde une importance majeure aux conflits internes et aux instincts sexuels, ce qui contraste avec les découvertes plus récentes de la neuroscience qui mettent l’accent sur les structures cérébrales, les connexions neuronales et les processus biochimiques. Freud n’avait pas non plus une connaissance précise de la biologie de la reproduction et du développement de l’embryon, ce qui a probablement influencé sa théorie de la sexualité infantile. En s’appuyant sur des concepts biologiques obsolètes, Freud aurait pu contribuer à renforcer des stéréotypes nuisibles. Par exemple, son idée de la « jalousie de pénis », qui postule que toutes les femmes ressentent une certaine envie du pénis masculin et perçoivent leur propre corps comme inférieur, a été largement critiquée comme une projection misogyne et une simplification excessive de l’expérience féminine. Ces critiques soulignent que les théories de Freud sont ancrées dans une compréhension limitée et parfois erronée de la biologie, ce qui aurait pu conduire à des conclusions erronées et problématiques. Ces critiques remettent en question non seulement l’exactitude de son travail mais aussi sa pertinence et sa valeur dans le contexte de notre compréhension scientifique actuelle du cerveau et de l’esprit humain.
Le troisième angle de critique concerne le caractère spéculatif de la métapsychologie freudienne. En effet, Freud a cherché à comprendre les maladies mentales, y compris les névroses et les psychoses, en les ancrant dans le développement de la sexualité infantile et ses conflits potentiels. Selon cette perspective, les symptômes névrotiques sont vus comme l’expression symbolique de conflits inconscients.
Toutefois, plusieurs critiques remettent en question cette approche, affirmant qu’elle est excessivement théorique et manque de preuves empiriques. Par exemple, certains scientifiques ont suggéré que l’accent mis par Freud sur la sexualité infantile et les conflits inconscients est une simplification excessive de la complexité de la psychologie humaine. Ce fut d’ ailleurs la raison pour laquelle Jung se détacha de Freud (mais ceci relève d’ un autre débat). Cette perspective peut aussi conduire à une interprétation potentiellement biaisée des symptômes névrotiques. En considérant les symptômes comme de simples manifestations symboliques de conflits internes, on risque d’ignorer d’autres facteurs importants, tels que les influences biologiques, environnementales ou socio-culturelles.
Soulignons également le fait que la méthode d’interprétation symbolique de Freud est elle-même sujette à controverse. Il a été suggéré que cette méthode est intrinsèquement subjective et laisse une trop grande marge de manœuvre à l’analyste, ce qui peut conduire à des interprétations biaisées ou erronées. Par exemple, un critique a noté que cette approche permet à l’analyste de « retrouver toujours la théorie dans les faits », c’est-à-dire d’interpréter les symptômes de manière à confirmer sa propre théorie, plutôt qu’à la remettre en question. Le caractère spéculatif de la métapsychologie freudienne et son manque d’appui empirique solide ont soulevé des critiques importantes et remis en question sa validité et sa pertinence actuelles. Je vous renvoie à cet égard aux critiques émises à ce sujet par Karl Popper.
Le dernier point de critique se focalise sur l’absence de fondements théoriques et cliniques solides dans la psychanalyse freudienne ainsi que le rejet de la méthode expérimentale. La science moderne repose fortement sur la méthode expérimentale qui, à travers des procédures contrôlées et reproductibles, vise à valider ou infirmer des hypothèses.
Les théories psychanalytiques freudiennes, comme la théorie des stades psychosexuels ou l’interprétation des rêves, sont sujettes à controverse. Pour beaucoup de scientifiques, ces théories semblent manquer de fondements empiriques solides. Elles reposent largement sur les observations cliniques de Freud et ses propres interprétations qui sont intrinsèquement subjectives. Les critiques affirment que sans preuves empiriques rigoureuses, ces théories peuvent être interprétées comme des conjectures ou des spéculations, plutôt que comme des faits établis. Freud n’a pas utilisé la méthode expérimentale pour tester ses théories. Au lieu de cela, il s’appuyait principalement sur des études de cas individuels et ses propres interprétations de ces études. De nombreux épistémologues ont souligné que cette approche ne répond pas aux normes de la recherche scientifique moderne. Sans expériences contrôlées et reproductibles pour soutenir ses théories, ces dernières sont souvent considérées comme non scientifiques par de nombreux chercheurs contemporains.
Si Freud a bien bouleversé la culture contemporaine de par son advenue dans le champ conceptuel, ces points de vue critiques contribuent nettement et objectivement à une réévaluation de la pertinence de la psychanalyse freudienne dans le champ de la psychologie et de la psychiatrie modernes. Il semble pour le moins clair que la psychanalyse n’ est pas une science mais plutôt un art. À suivre…